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La tête dans les étoiles - Épisode 95 : La trace d’une existence

20/04/2023

Que restera-t-il de l’humanité une fois que celle-ci aura disparu ? Plus personne ne sera là pour raconter les hauts faits que nous aurons accomplis ou les catastrophes que nous aurons provoquées, mais il restera, sur Terre et ailleurs, quelques traces de notre présence ici-bas, présence en apparence pérenne à l’échelle humaine mais en réalité bien fugace à l’échelle des temps cosmiques.

 

Les traces les plus tangibles que nous laisserons seront les mêmes que celles léguées par nos lointains ancêtres préhistoriques. Ce seront les constructions souterraines, bien plus à même de résister à l’usure du temps que celles situées en surface. Ainsi, tunnels, sites de stockages souterrains et autres bunkers ou abris antiatomiques seront autant de traces particulièrement durables que des visiteurs du futur ou nos lointains successeurs finiront peut-être par trouver s’ils prennent le temps de les chercher. Bien sûr, de telles constructions finiront elles aussi par subir l’outrage du temps qui passe.

 

Dans ce contexte, les vestiges les plus pérennes ne se trouvent peut-être pas tant sur Terre que dans les cieux. Les satellites artificiels situés sur une orbite très distante ne retomberont pas sur Terre avant des dizaines de millions d’années, et certains, tels les satellites LAGEOS (voir chronique n°66), survivront probablement sans dommage à leur retour sur Terre. Les quelques engins de fabrication terrestre qui ont atterri sur la Lune devraient rester en l’état pendant des durées encore plus longues du fait de l’absence de processus d’érosion à la surface de notre satellite. Ainsi Eagle, l’atterrisseur d’Apollo 11, devrait témoigner de notre existence passée pendant des temps inénarrables… à moins bien sûr qu’il ne soit pulvérisé par un impact météoritique malencontreux. Les atterrisseurs et autres rovers martiens tels que Curiosity seront, eux, moins chanceux : la faible érosion à l’œuvre sur la planète rouge aura tôt ou tard raison d’eux, même si cela prendra des dizaines ou des centaines de milliers d’années.

 

Et après ? Les êtres qui, dans des dizaines ou centaines de millions d’années, succéderont peut-être à l’humanité, comme espèces dominantes du monde que nous leur aurons laissé, peineront à en savoir plus, mais ils pourront toujours se baser sur les modifications géologiques que nos actions récentes ont imprimées sur l’environnement. Il y aura bien sûr les extinctions massives d’espèces que nous sommes en train de causer et qui n’ont pas eu d’équivalent depuis des millions d’années, ou les traces de pollution dans les couches géologiques correspondant au début de l’ère industrielle et notamment à la dissémination à grande échelle de résidus de plastique. À moins que les traces de la radioactivité induite par les essais atomiques atmosphériques ne soient les plus faciles à identifier. Bref, dans tous les cas, c’est donc la pollution, sous diverse formes, qui témoignera le plus longtemps de notre présence sur Terre.

 

Mais si l’on regarde plus loin encore dans le futur, la Terre, ou ce qu’il en restera alors, a toutes les chances de finir engloutie par le Soleil dans un peu plus de 7 milliards et demi d’années, juste avant que celui-ci n’atteigne le faîte de son éclat. La plupart des atomes de notre planète seront alors intégrés à notre étoile et perdront la mémoire de l’astre qu’ils composèrent pendant plus de 12 milliards d’années. La fin de toute chose ? Pas encore : les sondes spatiales que nous aurons réussi à envoyer à l’extérieur du Système solaire vogueront en principe pendant des durées inimaginables au sein de notre Galaxie. Elles sont à l’heure actuelle au nombre de cinq : Pioneer 10 et 11 (lancées en 1972 et 1973), Voyager 1 et 2 (lancées en 1979) et New Horizons, lancée en 2004. Certes il y a bien peu de chances qu’elles croisent la route d’êtres intelligents, mais ce petit bout d’humanité aura la vie dure.

 

Pendant combien de temps ? Peu à peu notre Galaxie se transformera en un immense cimetière cosmique, quand toutes ses étoiles s’arrêteront de briller les unes après les autres. Mais leurs cadavres lui survivront. Et la dynamique galactique nous enseigne que tous les objets voguant dans l’immensité désormais glacée de notre Galaxie connaîtront inévitablement des rencontres plus ou moins rapprochées avec ces cadavres stellaires, quoique dans un futur bien lointain, qui se compte en millions de milliards d’années. Celles-ci, même si elle se feront à des distances respectables (au moins plusieurs centaines de millions de kilomètres, voire bien plus), modifieront aléatoirement l’orbite galactique de ces sondes, pour deux issues possibles. La première est que les sondes finissent par plonger toujours plus profondément en direction du centre de notre Galaxie où se trouve Sgr A*, un trou noir géant. D’une masse pour l’instant modeste (4 millions de fois celle du Soleil), celui-ci sera lentement mais sûrement alimenté par tout ce qui passera un peu trop près de son voisinage… c’est-à-dire bien des choses. Il est ainsi voué à engloutir environ 10 % des objets de la Voie lactée. Les 90 % restants seront, eux, expulsés à jamais au bout, typiquement, de quelques centaines de milliards de milliards d’années (un « 1 » suivi de vingt zéros) voire plus longtemps encore, en fonction des divers paramètres qui structurent notre Galaxie. Désormais aussi solitaires que quasi indestructibles, ces vestiges de ce qui fut notre existence subsisteront pendant – au moins – 100 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 années, avant que la matière qui les compose ne disparaisse ou ne se transforme, leur faisant, cette fois à jamais, perdre leur individualité en même temps que disparaîtra la dernière preuve que l’humanité a un jour existé.

Les sondes Pioneer, Voyager et New Horizons seront probablement les objets les plus pérennes jamais construits par les hommes du fait qu’ils ont été envoyés à l’extérieur du Système solaire.

 

Crédit : NASA, National Air and Space Museum, JPL-Caltech, John Hopkins University, Applied Physics Laboratory