La tête dans les étoiles - Épisode 74 : Paréidolie
10/05/2022
Tout le monde en a fait l’expérience : croire apercevoir des formes familières dans les nuages, les branches d’arbres ou des taches d’encre. C’est la paréidolie, un phénomène qui pousse notre cerveau à interpréter des données parfois abstraites pour en extraire des éléments plus concrets, fussent-ils totalement illusoires dans le contexte où ils jaillissent. On peut ainsi considérer que les constellations sont des formes anciennes de paréidolie, même si tout le monde n’y voir pas forcément la même chose. Ainsi la célèbre constellation de la Grande Ourse évoquait peut-être à nos ancêtres un mammifère, mais de nos jours elle fait plutôt penser à une casserole.
Si on se restreint au monde céleste, la paréidolie la plus célèbre est bien plus récente que les constellations antiques. Elle date de 1976, année où les deux sondes Viking de l’ambitieux programme martien américain tournaient autour de la planète rouge et la cartographiaient sous toutes les coutures à la recherche d’un lieu sûr pour les modules d’atterrissage qu’elles devaient larguer à la surface. Parmi les curiosités remarquées par les scientifiques dans les innombrables clichés pris par les orbiteurs, figurait une formation géologique relativement isolée s’élevant au-dessus d’une plaine au relief très lisse. De forme vaguement ovale, dotée de quelques proéminences, le tout couplé à divers défauts du cliché, elle évoquait indiscutablement un visage humain. La Nasa, toujours désireuse de justifier le coût de ses missions auprès du contribuable, s’empressa de faire un peu de publicité à cet étrange visage, non sans assortir son communiqué des précautions d’usage. Mais il n’y en eut pas assez. Ajoutez à cela une autre structure évoquant une pyramide ainsi que quelques failles vaguement linéaires dans la plaine environnante, et la machine à rêves était lancée, du moins pour ceux désireux d’y croire : on venait, ni plus ni moins, de découvrir sur Mars la trace d’une ancienne civilisation avec ses routes, ses habitations et ses monuments, comme la culture populaire l’espérait depuis les années 1930 (lire l’épisode 19).
Trois décennies plus tard, des clichés de meilleure résolution mettaient fin au fantasme. Cydonia Mensae – son nom officiel – n’était rien d’autre, comme les scientifiques l’avaient compris dès 1976, qu’un relief tabulaire assez semblable aux mesas terrestres que l’on trouve en abondance dans les régions désertiques du sud-ouest des États-Unis et qui sont le fruit d’une lente érosion en milieu très aride… comme le vit la planète Mars depuis des milliards d’années. Mais ce retour à la réalité n’a pas tari l’espoir de certains irréductibles. Ils sont encore nombreux, à observer sans relâche les derniers clichés de telle ou telle mission martienne, y cherchant des formes plus ou moins évocatrices d’objets qui témoigneraient de la trace d’une vie intelligente passée sur la planète rouge. Une illusion bien sûr, mais dont le pouvoir de fascination demeure inépuisable.
Le « visage sur Mars » observé par la sonde Viking 1 en 1976 (en bas à droite), et une vue de meilleure qualité par la sonde Mars Reconnaissance Orbiter prise en 2007.
Crédit : NASA/JPL/University of Arizona