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Chronique animale - Épisode 53 : La sagesse des femelles ménopausées

31/01/2023

La théorie classique en biologie prévoit que la ménopause ne devrait pas exister. Pour les femelles, une fois leur tâche de génitrice accomplie, survivre est longtemps apparu comme une incongruité. Incapable de se reproduire, à quoi bon vieillir et survivre ? Cette vision réductrice et peu flatteuse pour le sexe féminin a heureusement évolué. Si les humaines ont longtemps fait figure d’exception, dans les années 1980 le même phénomène a été identifié chez deux autres espèces de mammifères, l'orque (Orcinus orca) et le globicéphale noir (Globicephala macrorhynchus). Chez les orques, les femelles se reproduisent généralement entre 12 et 40 ans mais peuvent vivre jusqu'à 90 ans. À l’inverse, les mâles survivent rarement au-delà de 50 ans. La ménopause serait plus étendue dans la nature que nous l’avions imaginé, mais pour quels avantages ?

Pour les scientifiques, les causes de l’évolution de la ménopause sont à chercher dans les bénéfices fournis par les femelles âgées aux membres de leur famille, permettant d’augmenter le succès reproducteur des femelles plus jeunes, souvent leurs filles, et la survie de leurs proches. Mais la façon dont les femelles ménopausées les aident reste énigmatique.

C’est à cette question qu’une équipe de chercheurs a voulu répondre. Selon leur hypothèse de travail, les femelles âgées, par leur connaissance fine des milieux naturels et de la répartition des ressources, protégeraient leur famille contre les aléas de la nature. Les orques se nourrissent principalement de saumon Chinook pendant la migration estivale de ces derniers. Comme l'abondance des poissons varie considérablement dans l'espace et dans le temps, l’expérience des orques pourrait apporter des avantages considérables aux autres membres du groupe. Les chercheurs ont donc analysé la position sociale des femelles âgées, et notamment si elles sont meneuses lors de la recherche de nourriture.

Il ressort deux résultats principaux. Premièrement, les femelles âgées dirigent les groupes lors des déplacements collectifs dans les zones de recherche de saumon. Deuxièmement, le leadership des femelles âgées est plus important les années difficiles, lorsque l'abondance de saumon est faible. Ces résultats montrent que les femelles ménopausées améliorent la vie des membres de leur famille par le transfert de connaissances écologiques. Une forme de sagesse des aînés qui peut aider à expliquer pourquoi les orques comme les humains continuent à vivre longtemps après avoir cessé de se reproduire.

Brent et al., « Ecological Knowledge, Leadership, and the Evolution of Menopause in Killer Whales », Current biology, vol. 25, 2015, p. 746-750.